« Safiotra » de Yinka Shonibare à la Fondation H : Une exploration émouvante de l’histoire et des identités
Du 11 avril 2025 au 28 février 2026, la Fondation H à Ambatomena, dans le centre-ville d’Antananarivo, accueille « Safiotra [Hybridités/Hybridities] », première grande exposition sur le continent africain de l’artiste britannico-nigérian Yinka Shonibare. Une plongée audacieuse dans une œuvre foisonnante, à la croisée des cultures, des histoires et des identités.
Il fait chaud à Tana. Une chaleur lourde, tropicale, qui annonce la pluie. Ce jeudi 10 avril, dans la cour en pierre de la Fondation H à Ambatomena, une foule de jeunes, d’adolescentes et d’amateurs d’art attend, rassemblée dans une atmosphère à la fois fébrile et joyeuse. Le vernissage de l’exposition Safiotra [Hybridités/Hybridities] est imminent. Au milieu des conversations, un mouvement près du portail attire les regards. Yinka Shonibare, l’artiste invité, fait son entrée en fauteuil roulant, discret mais magnétique. L’émotion est palpable : il est là, pour la première fois sur le sol malgache, à l’occasion d’une exposition d’envergure qui lui est entièrement consacrée.
Safiotra, une fusion d’identité
Safiotra occupe les 2 200 m² du bâtiment de la Fondation H. Cette carte blanche, confiée à Shonibare, est l’occasion d’un dialogue inédit entre deux continents. Le mot malgache « safiotra », qui désigne une personne ou un objet issu d’un métissage, d’une fusion d’identités, donne à l’exposition son ancrage conceptuel. Une hybridité que l’artiste explore depuis plus de deux décennies à travers ses œuvres. Dans cette exposition, l’artiste propose un parcours en deux temps. Au rez-de-chaussée, une sélection de ses œuvres emblématiques retrace plus de vingt ans de création. À l’étage, il met en résonance ses réflexions avec une vingtaine d’artistes africain•es et afro-descendant•es de sa génération et de la suivante, puisés dans la collection de la Fondation H.

Deux décennies d’œuvres
Parmi les œuvres présentées, The African Library (2018), issue de la collection permanente de la Fondation H, constitue l’un des points d’ancrage de l’exposition. Composée de 6 000 livres recouverts de tissus wax hollandais et estampillés des noms de figures qui ont marqué l’Afrique postcoloniale, cette installation monumentale est accompagnée d’une interface numérique, invitant à la découverte des récits derrière les noms. Autour de cette pièce phare gravitent une vingtaine d’œuvres réalisées entre 2011 et 2024. Les visiteurs y découvrent notamment Refugee Astronaut X (2024), une œuvre conçue dans le contexte de Madagascar, mais aussi des sculptures, masques hybrides, structures décolonisées, ou encore des figures d’astronautes et d’étrangers en mouvement. Des œuvres telles que Alien Man on Flying Machine (2011) et Alien Woman on Flying Machine (2011) viennent ponctuer ce parcours fluide, porté par un langage plastique reconnaissable entre tous.

Le wax, symbole de l’hybridité
L’esthétique de Yinka Shonibare est immédiatement identifiable. Les tissus wax, omniprésents dans ses œuvres, traduisent à eux seuls la complexité de l’hybridité. Importés d’Indonésie, produits en Europe, plébiscités en Afrique, ces tissus racontent une histoire de circulations, de conquêtes, de réappropriations. L’artiste les détourne, les plie, les sculpte. Il les transforme en costumes baroques, en drapeaux, en couvertures de livres. Chaque œuvre devient ainsi un point de rencontre entre des références visuelles, géographiques et historiques. Shonibare recompose des figures du passé, les habille d’imaginaires composites, et interroge le présent. Dans la série Decolonised Structures, il réinterprète par exemple des monuments occidentaux en les recouvrant de motifs venus d’ailleurs, brouillant les repères entre colonisé et colonisateur.
À l’étage, l’exposition se poursuit avec les regards de 19 artistes, choisis par Shonibare dans la collection de la Fondation H. Ensemble, ils déconstruisent les notions d’identité figée, proposent des visions multiples du monde contemporain et explorent les liens entre mémoire, création, matière et territoire. Peinture, sculpture, textile, installation : les médiums se croisent, se répondent, prolongent l’idée que l’hybridité n’est pas un état de confusion, mais un espace fertile de création. Les matériaux eux-mêmes deviennent porteurs d’histoire, de résistance, de réinvention. Chaque œuvre dialogue avec les autres, créant un tissu complexe où passé et avenir, formes ancestrales et contemporaines, se tissent sans jamais s’annuler.

Une invitation à explorer les identités plurielles
Pour Hassanein Hiridjee, président de la Fondation H, cette exposition est aussi une rencontre personnelle. « Je me réjouis de donner à découvrir au public malgache un peu de l’émotion que j’ai moi-même ressentie notamment face à l’installation de l’artiste au sein du Pavillon du Nigéria, à la Biennale de Venise 2024, très justement intitulée Monument to the Restitution of the Mind and Soul. Accueillir Yinka Shonibare dans mon pays d’origine, Madagascar, pour sa première grande exposition personnelle sur le continent africain, est ainsi un immense honneur. » Le travail de Shonibare, selon lui, ouvre des perspectives essentielles dans un monde où les identités tendent à se figer ou à s’uniformiser. « Dans une époque qui semble parfois oublier la pluralité intrinsèque de chaque individu, de chaque culture, de chaque Histoire, Yinka Shonibare souligne la fabuleuse richesse qu’est l’hybridité. »
Né en 1962 à Londres, Yinka Shonibare a grandi au Nigeria. Cette double appartenance irrigue toute sa pratique artistique. Formé à la Byam Shaw School of Art puis à Goldsmiths à Londres, il développe très tôt une œuvre profondément critique, ancrée dans une réflexion sur le post-colonialisme, la mondialisation, l’histoire de l’art et les systèmes de pouvoir. Présenté dans les institutions les plus prestigieuses, son travail interroge les récits dominants, les symboles de pouvoir, les frontières culturelles. Il propose une esthétique accessible et exigeante, joyeuse et politique. Safiotra [Hybridités/Hybridities] n’impose aucun message. L’exposition propose, suggère, interpelle. Elle invite à explorer les identités plurielles, à observer les croisements de trajectoires humaines, artistiques, historiques. Elle fait de l’hybridité non pas un compromis, mais une manière d’être au monde, ouverte, mouvante, curieuse.
